Biais d'essentialisme
« Je crois que les groupes sociaux ont une essence distincte et immuable. »
Définition
Toutes catégories ne sont pas égales. La distinction entre les catégories de l’univers social (ex. : Canadiens et Américains) peut être beaucoup plus complexe et nuancée que celle entre des catégories naturelles (ex. : minéraux et plantes). Pour faciliter notre traitement de ces informations, nous nous reposons sur le biais d’essentialisme, qui correspond au fait de conceptualiser des groupes sociaux comme naturellement et essentiellement distincts. Ce biais mène à surestimer la mesure dans laquelle une personne est définie par la catégorie sociale à laquelle elle appartient. Autrement dit, cela mène au fait de penser que l’on peut déduire beaucoup d’informations sur un individu simplement par son appartenance à un groupe social [1]. Il s’agit d’une tendance générale qui a été démontrée à tous les âges, et ce, dans diverses cultures [2].
Exemple
Pour un-e enfant qui apprend à classifier l’univers social, il est plus simple de considérer que les hommes ont les cheveux courts et les femmes ont les cheveux longs, ou encore que les hommes aiment le bleu et que les femmes aiment le rose. Toutefois, ces distinctions ne sont pas des façons efficaces de classer les hommes et les femmes et mènent à des erreurs de catégorisation, puisqu’il ne s’agit pas de différences essentielles parfaitement représentatives ou immuables de natures intrinsèques.
Explication
Afin de faciliter notre compréhension de l’univers social, nous percevons les catégories comme ayant une nature sous-jacente essentielle et immuable. Cela nous donne l’impression de pouvoir prédire plus facilement les caractéristiques des membres des groupes et de comprendre leurs caractéristiques essentielles [1].
Conséquences
Ce biais est associé à l’endossement de stéréotypes et de préjugés envers des groupes (ex. : tel que représenté dans le sexisme, le racisme et l’âgisme). De plus, il mène également à la justification d’injustices sociales. En effet, si l’on croit que les groupes sont essentiellement distincts, il est plus facile d’accepter ou de défendre qu’ils aient accès à des ressources et des droits différents [3]. En ce sens, des études ont démontré qu’une vision essentialiste des différences sexuelles pouvait mener à justifier et excuser des crimes sexuels [4]. Une exception demeure concernant les catégories sociales qui bénéficient d’une vision essentialiste diminuant leur responsabilité perçue. Par exemple, une vision essentialiste de l’homosexualité et de l’obésité est associée à moins de discrimination envers les membres de ces groupes [5].
Pistes de réflexion pour agir à la lumière de ce biais
Prendre conscience de la complexité des catégories sociales.
S’instruire sur l’interaction entre des différences réelles entre les groupes et les constructions sociales véhiculées à leur endroit.
Diversifier son réseau social et prendre contact avec des gens issus d’autres groupes sociaux afin de reconnaître leur individualité.
Comment mesure-t-on ce biais?
Plusieurs chercheur-es mesurent le niveau de biais d’essentialisme des participant-es en leur demandant d’indiquer dans quelle mesure ils/elles sont en accord ou en désaccord avec des énoncés qui trahissent une pensée essentialiste ou anti-essentialiste. Il faudrait par exemple indiquer dans quelle mesure nous sommes en accord avec l’énoncé suivant : « Il est possible de connaître plusieurs aspects d’une personne lorsque nous devenons familiers avec quelques-uns de ses traits de base » [3]. Des chercheur-es ont développé des méthodes pour manipuler expérimentalement le niveau de biais essentialiste des participant-es. Ces méthodes consistent souvent à assigner les participant-es dans deux groupes distincts et à leur faire lire des explications différentes sur les groupes sociaux. Dans ces études, les participant-es qui lisent des textes expliquant, par exemple, que les recherches indiquent des différences majeures entre les groupes (ex : hommes et femmes) ont ensuite un plus haut niveau de biais essentialiste et un plus grand endossement des stéréotypes que celles et ceux qui lisent des textes qui ne font pas mention de ces soi-disant différences marquées [4].
Ce biais est discuté dans la littérature scientifique :
Ce biais a des répercussions au niveau individuel ou social :
Ce biais est démontré scientifiquement :
Références
[1] Allport, Gordon W. (1954). The nature of prejudice. Reading, MA: Addison-Wesley.
[2] Dar-Nimrod, Ilan & Steven J. Heine (2011). Genetic essentialism: on the deceptive determinism of DNA. Psychological bulletin, 137(5), 800.
[3] Bastian, Brock & Nick Haslam (2006). Psychological essentialism and stereotype endorsement. Journal of Experimental Social Psychology, 42(2), 228-235.
[4] Coleman, Jill M. & Ying-yi Hong (2008). Beyond nature and nurture: The influence of lay gender theories on self-stereotyping. Self and Identity, 7(1), 34-53.
[5] Haslam, Nick, Brock Bastian, Paul Bain & Yoshihisa Kashima (2006). Psychological essentialism, implicit theories, and intergroup relations. Group Processes & Intergroup Relations, 9(1), 63-76.
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Niveau intergroupes, Heuristique de représentativité, Besoin de fermeture cognitive, Besoin d'appartenance sociale
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Auteur-e
Émilie Gagnon-St-Pierre est doctorante en psychologie cognitive et sociale à l’Université du Québec à Montréal. Elle est affiliée au Laboratoire des processus de raisonnement et au Laboratoire Culture, Identité et Langue. Elle est également co-fondatrice de Raccourcis.
Comment citer cette entrée
Gagnon-St-Pierre, E. (2020). Biais d’essentialisme. Dans C. Gratton, E. Gagnon-St-Pierre, & E. Muszynski (Eds). Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs Vol. 1. En ligne : www.shortcogs.com
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