Biais de justification de l'effort
« J’évalue une situation en fonction de la quantité d’efforts nécessaires pour y arriver. »
Définition
Le biais de la justification de l’effort suggère que l’on accorde plus de valeur aux retombées d’actions qui demandent plus d’efforts pour y arriver [1]. Ce biais se manifeste souvent comme une manière de combattre l’inconfort lié à la dissonance cognitive, soit lorsque nos actions ne sont pas en harmonie avec nos valeurs. Rationaliser en se disant qu’une tâche demandant beaucoup d’efforts générera une conséquence de grande valeur nous permet de justifier la quantité de temps investie à faire cette tâche, et ce, même si nos efforts ne sont pas rentables (p. ex. attendre dans une file pour de la nourriture pendant longtemps alors que le plat s’avère être décevant). Pour réduire la dissonance cognitive, les pensées ou les actions doivent être modifiées. Or la plupart du temps, les actions ne peuvent être changées a posteriori. Ainsi, afin d’être plus en paix avec la situation, nous devons souvent la reconsidérer [2]. On se convainc qu’attendre en file en vaudra bien la peine au final (justification de l’effort), plutôt que de simplement quitter. Le biais de la justification de l’effort peut également survenir lors d’une dissonance après achat, c’est-à-dire, lors d’incertitudes quant à la pertinence d’avoir effectué un achat spécifique. La dissonance après achat peut être contrebalancée avec l’effort de justification par l’entremise de produits connexes, soit des produits non physiques qui renforcent ou offrent une valeur ajoutée (garantie, service à la clientèle) et qui requièrent également plus d’engagement de la part de l’individu.
Exemple
Pour un montant additionnel, Nike offre aux consommateur-trices l’option de personnaliser leurs chaussures de sport par un service appelé Nike By You. Cela permet de personnaliser tout aspect de la chaussure, jusqu’à ses coutures. Un produit réellement pensé pour répondre à notre désir semble plus digne du montant qu’il nous en coûte, car cela prend généralement plus d’efforts pour créer un produit personnalisé. Nous avons tendance à associer le travail avec la valeur. On en fait l’expérience directe lorsque nous nous adonnons à des loisirs que l’on considère importants, en partie en raison de la quantité de temps passé à exercer ces loisirs. On retrouve ce même sentiment d’engagement dans la co-création issue des nouvelles tactiques de marketing, qui consiste à encourager les consommateurs-trices à participer activement à leur expérience de marque. Cette tactique a pour but d’augmenter la valeur perçue du produit et de la compagnie aux yeux du consommateur ou de la consommatrice. En demandant aux consommateur-trice de mettre plus d’efforts dans leurs achats, les compagnies suscitent le biais de justification de l’effort en favorisant une association chez les consommateurs-trices entre l’effort qui leur est demandé et leur évaluation de la valeur de la marque.
Explication
La recherche suggère que la justification de l’effort se manifeste en réponse à l’inconfort vécu lors d’une dissonance cognitive due à un écart entre le comportement et la cognition [2]. Puisque les comportements ne peuvent être changés a posteriori, les individus modifient plutôt leurs pensées ou croyances pour réduire l’inconfort. La justification de l’effort est une façon de modifier sa propre cognition afin de valider les raisons qui nous ont poussées à mettre beaucoup d’efforts dans une tâche qui s’avère être peu rentable.
Conséquences
Nous employons plusieurs stratégies afin de contrebalancer l’inconfort de la dissonance cognitive. L’une de ces tactiques peut être de continuer à creuser le trou dans lequel on s’enfonce, en justifiant nos efforts investis en y mettant encore plus d’efforts. La plupart du temps, plutôt que d’admettre que les efforts investis étaient en vain, il est plus facile de ne rien changer à nos comportements et de continuer à mettre des efforts dans ce que nous croyons qui pourra porter fruit. Une conséquence particulièrement dangereuse de ce biais cognitif peut être de rester dans une relation abusive. On peut avoir tendance à essayer de sauver une relation toxique simplement parce qu’on y a déjà investi beaucoup d’efforts, et en venir à croire qu’elle en vaut l’effort [3]. Dans un contexte plus léger, la justification de l’effort pourrait rendre très difficile pour un-e utilisateur-trice de iPhone de changer pour un Android, et vice versa, en raison de tout l’effort mis dans l’achat et la maîtrise du système.
Pistes de réflexion pour agir à la lumière de ce biais
Nous devrions définir des limites claires pour des tâches qui demandent beaucoup d’efforts et savoir quand nous arrêter lorsqu’ un rendement décroissant apparait.
Être critique du fait que l’on tend à mettre des lunettes roses lorsqu’on évalue les projets qui nous demandent le plus de temps. Il pourrait s’avérer utile d’être plus objectif-ves envers la qualité de notre propre travail.
Lorsque confronté-es à du marketing expérientiel, rester critique face aux intentions de la compagnie, aux profits qui peuvent être tirés de nos données personnelles et l’influence opérée sur notre perception de la marque.
Lorsqu’on est optimiste envers quelque chose et que l’on y met beaucoup d’efforts, il est possible de se sentir terriblement mal lorsque cette chose n’offre pas les résultats escomptés et que les conséquences sont négatives. Il est donc profitable de réduire ses attentes envers ce qui demande d’investir beaucoup d’efforts afin de garder le contrôle de nos réactions aux conséquences négatives.
Comment mesure-t-on ce biais?
La justification de l’effort est mesurée en demandant à des participant-es d’évaluer la valeur du résultat d’une tâche demandant beaucoup d’efforts, en comparaison avec une tâche demandant peu d’efforts. L’effort varie entre les études, il peut s’agir d’efforts d’étudiant-es pour compléter un cours de chimie, à l’effort physique d’appuyer sur un bouton dans une expérimentation en laboratoire. Le plus souvent, les tâches demandant le plus d’efforts sont exigeantes sur le plan physique ou mental et requièrent plus de temps que le stimulus impliqué dans une tâche demandant peu d’efforts. Le biais de justification de l’effort est présent lorsque la tâche demandant beaucoup d’efforts est évaluée plus fortement que la tâche demandant peu d’efforts.
Ce biais est discuté dans la littérature scientifique :
Ce biais a des répercussions au niveau individuel ou social :
Ce biais est démontré scientifiquement :
Références
[1] Jiga-Boy, Gabriela M., Claudia Toma & Olivier Corneille (2014). Work more, then feel more: The influence of effort on affective predictions. PloS one, 9(7), e101512.
[2] Zentall, Thomas R. (2010). Justification of effort by humans and pigeons: cognitive dissonance or contrast?. Current Directions in Psychological Science, 19(5), 296-300.
[3] Strube, Michael J. & Linda S. Barbour (1983). The Decision to Leave an Abusive Relationship: Economic Dependence and Psychological Commitment. Journal of Marriage and Family, 45(4), 785–793.
Tags
Niveau individuel, Heuristique de disponibilité, Heuristique d'ancrage, Besoin d'estime de soi, Besoin de consonance cognitive
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Auteur-e
Alanah Lam détient un baccalauréat en psychologie et un certificat Charles Chang en entreprenariat et innovation de l’Unviversité Simon Fraser. Sa passion est d’examiner comment les gens tirent de la valeur de leurs interactions avec la technologie et les individus. Elle souhaite déconstruire la boite noire de ce que signifie être un-e usager-e heureux à l’Ère de l’information.
Traduit de l’anglais au français par Sarah Maillé.
Comment citer cette entrée
Lam, A. (2020). Biais de justification de l’effort, trad. S. Maillé. Dans E. Gagnon-St-Pierre, C. Gratton & E. Muszynski (Eds). Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs Vol. 2. En ligne : www.shortcogs.com
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