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Biais de négativité

« Quand je dois évaluer une situation, les événements négatifs pèsent plus dans la balance que les évènements positifs. »

Définition

Le biais de négativité désigne la tendance à être plus affecté-e par les informations et les éventualités négatives que par celles positives [1]. Ainsi, nous retenons davantage les souvenirs liés à des émotions négatives que positives [2]; le vocabulaire pour décrire la douleur est plus riche que celui pour décrire le plaisir [1]; et la perspective d’une perte économique fait plus peur que ne rassure celle d’un gain potentiel [3]. Le cerveau réagit de manière intense face à des entités négatives comme des germes alors que le contraire ne se produit pas pour des équivalents positifs [1]. Par conséquent, au moment de raisonner, de juger et d’agir, le négatif l’emporte très souvent sur le positif. Ce biais est considéré comme universel [4,5], mais certaines études suggèrent qu’il pourrait s’atténuer avec l’âge [5].

Exemple

Un proverbe russe résume bien l’essence de ce biais et l’asymétrie qui en découle : « une cuillère de goudron peut ruiner un baril de miel, mais une cuillère de miel ne fait rien pour un baril de goudron » [1]. À partir de cette image, nous pouvons imaginer un exemple hypothétique : Une amie a fait preuve d’une fidélité et d’une vertu incontestables un nombre incalculable de fois. Elle aura été présente pour nous aider à déménager, pour garder notre chien et pour nous prêter de l’argent en toute discrétion. Mais, le jour où elle aura oublié de nous rejoindre pour le dernier concert de notre groupe préféré marquera plus ou autant notre mémoire que cette série de gestes généreux. Ainsi, une simple exception négative possèdera plus ou autant d’emprise que chacun de ses gestes positifs. Notre amitié ne sera pas remise en cause ; mais, malgré sa solidité, elle n’échappera pas à notre tendance à changer de poids et de mesure pour évaluer le positif et le négatif.

Explication

Il existe au moins trois sortes d’hypothèses explicatives de ce biais. La première repose sur l’expérience et l’adaptabilité : face aux événements négatifs pouvant mettre en péril notre survie individuelle, on développerait ce biais afin de réagir de manière rapide et efficace lorsqu’un danger imminent se présentera réellement [1]. La seconde fait appel à la biologie : le biais ne serait pas appris ou acquis par l’expérience des faits négatifs, il s’agirait plutôt d’une prédisposition innée ou inscrite génétiquement qui augmenterait les probabilités de survie [1, 4]. La troisième repose sur la mécanique neuronale : le cerveau utiliserait des zones séparées et indépendantes pour catégoriser les affects positifs ou négatifs. C’est la partie droite du cortex qui réagirait aux stimuli négatifs ou douloureux. Elle fournirait des réponses plus fortes et plus marquantes que celles fournies par la partie du cortex en charge de répondre aux stimuli positifs ou plaisants. La structure et le fonctionnement du cerveau rendraient donc les représentations négatives plus saisissantes que les représentations positives [1].

Conséquences

L’impact du biais de négativité dans nos vies est assez important, puisqu’on le trouve dans divers domaines et qu’il peut être très utile. Ainsi, en politique ou dans le management, le biais se manifeste notamment au niveau des plans mis en place pour « éviter le pire » en cas de difficulté. Un certain nombre de décisions pertinentes pour réduire les effets négatifs liés à la pandémie de COVID-19 semblent redevable de ce biais. Par exemple, l’appréhension vis-à-vis d’un scénario catastrophique sert à déclencher et justifier les mesures nécessaires pour le contrer. Mais, il arrive aussi qu’il soit nuisible. Il peut produire une perception déformée de la réalité et favoriser un regard pessimiste et des émotions négatives qui empêchent de s’analyser soi-même ou d’analyser une situation avec neutralité. Ainsi, un seul échec peut suffire à détruire la confiance en soi longuement construite dans le temps. On retrouve aussi ce biais de manière récurrente dans les médias et dans le traitement de l’information : les mauvaises nouvelles font plus souvent la une et retiennent davantage notre attention.

Pistes de réflexion pour agir à la lumière de ce biais

  • Demander un regard externe à des personnes qui n’auraient pas vécu les événements négatifs pour gagner en objectivité.

  • Se donner un temps de réflexion et ne pas agir lorsque les faits négatifs sont frais et que leur emprise est trop prégnante.

  • Utiliser le biais en politique pour repérer les grands maux sociaux à éviter en priorité.

Comment mesure-t-on ce biais?

Pour démontrer ce biais, les chercheur-es doivent comparer les effets des phénomènes positifs et négatifs sur le raisonnement des participant-es. Par exemple, on peut mesurer l’efficacité des incitations positives et négatives pour motiver les gens. Dans une expérience, on demande aux participant-es de résoudre des anagrammes. On leur donne un exemple : ETKBAS  BASKET. Parmi les 6 mots proposés, 4 sont simples et 2 sont pratiquement insolubles. Le groupe A reçoit des instructions formulées de manière positive : « Pour vous encourager à faire de votre mieux, nous vous donnerons 0.25$ par anagramme réussi. Si vous déchiffrez tous les anagrammes, vous obtiendrez un total de 1.50$ ». Le groupe B reçoit des instructions formulées de manière négative : « Pour vous encourager à faire de votre mieux, nous vous donnerons en avance 1.50$. C’est la somme que vous obtiendrez à la fin si vous déchiffrez correctement tous les anagrammes. Lorsque vous aurez fini, nous reprendrons 0.25$ par anagramme incorrect ».


Les participant-es disposent d’un temps illimité pour tenter de remettre les mots dans l’ordre. Les chercheur-es calculent ensuite la moyenne de temps passé par groupe pour tenter de résoudre l’exercice. Dans cette expérience, le groupe ayant reçu une incitation négative passe sensiblement plus de temps à tenter de résoudre l’exercice que le groupe ayant reçu une incitation positive : 15 minutes versus 9 minutes. Par conséquent, cette expérience démontrerait le biais de négativité en suggérant que l’aversion à la perte motiverait davantage que l’expectative d’un gain, puisque les participant-es passent plus de temps à tenter de réussir la tâche [6].

Ce biais est discuté dans la littérature scientifique :

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Ce biais a des répercussions au niveau individuel ou social :

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Ce biais est démontré scientifiquement :

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Références

[1] Paul Rozin & Edward B. Royzman (2011). Negative bias, negativity dominance and contagion, Personality and Social Psychology Review, 5(4): 296-320.

[2] Amrisha Vaish, Tobias Grossmann & Amanda Woodward (2008). Not all emotions are created equal: the negativity bias in social-emotional development, Psychological Bulletin, 134(3): 383-403.


[3] Daniel Kahneman, Jack. L. Knetsch & Richard H. Thaler. (1990). Experimental tests of the endowment effect and the Coase theorem, Journal of Political Economy, 98: 1325–1348.


[4] Keith Chen & Venkat Lakshminrayanan (2006). How basic are behavioral biases? Evidence from capuchin monkey trading behavior, Journal of Political Economy, 114(3): 517-537.


[5] Michael A. Kisley, Stacey Woods & Cristina L. Burrows (2007). Looking at the sunny side of life: Age-related change in an event-related potential measure of the negativity bias, Psychological Science, 18: 838-643.


[6] Kelly Goldsmith & Ravi Dhar (2013). Negativity bias and task motivation: Testing the effectiveness of positively versus negatively framed incentives, Journal of Experimental Psychology: Applied, 19(4): 358-366.

Tags

Niveau individuel, Heuristique émotionnelle, Besoin de sécurité

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Auteur-e

Nicolaï Abramovich, docteur en philosophie politique et éthique, Université Sorbonne.

Comment citer cette entrée

Abramovich, N. (2021). Biais de négativité. Dans E. Gagnon-St-Pierre, C. Gratton & E. Muszynski (Eds.) Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs. En ligne : www.shortcogs.com

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