Illusion du savoir
« J’ai l’impression de savoir et de comprendre davantage que ce que je sais et comprend réellement. »
Définition
Le sentiment de savoir ou de comprendre quelque chose et la connaissance réelle de cette chose ne sont pas toujours liés l’un à l’autre. Il est courant, dans des situations pratiques et concrètes du quotidien comme dans des abstractions plus conceptuelles, qu’il y ait un écart plus ou moins grand entre notre connaissance réelle, et la perception que nous avons de celle-ci. L’illusion du savoir est un biais cognitif impliquant qu’une personne ait l’impression de connaître plus ou de mieux comprendre que ce que sa connaissance réelle lui permette d’affirmer [1]. En soi, l’illusion du savoir représenterait donc un mauvais jugement métacognitif, c’est-à-dire un mauvais jugement portant sur ses propres pensées [2].
Exemple
L’usage pratique et quotidien d’une variété de mécanismes (une fermeture éclair ou une toilette, par exemple) peut impliquer l’impression de connaître le fonctionnement de tels mécanismes. Par contre, une fois questionné-es, il arrive souvent que nous soyons incapables de les expliquer [3]. Similairement, un texte peut être lu puis susciter l’impression d’avoir été compris sans que d’importantes contradictions internes n’aient été repérées [4]. Notre rapport à certains types de médias, notamment ceux à la formule courte, accrocheuse et répétitive (« snack news »), peut également induire un sentiment de compréhension, qui n’implique pourtant aucune augmentation proportionnelle des connaissances factuelles [1, 5].
Explication
Le biais de l’illusion du savoir se manifeste dans différents contextes et peut donc être causé par différents éléments. Une cause générale de sa manifestation serait toutefois un manque de précision dans la calibration de notre connaissance réelle et de la perception que nous en avons [2]. Un jugement à l’égard de notre connaissance d’un sujet donné peut ainsi souvent être fait grossièrement, en négligeant l’étendue de notre incompréhension à l’égard des détails et subtilités qui le compose. Dans un contexte médiatique, le biais pourrait s’expliquer par la répétition fréquente et générale d’un sujet, sans que ses détails ne soient abordés. La répétition contribuerait entre autres à créer une habituation à la mention de termes et sujets, dont l’évocation ne susciterait éventuellement plus de questionnements (voir l’entrée sur le biais de répétition).
La quête d’approbation sociale serait un autre facteur d’incidence significatif dans la constitution d’une illusion du savoir. Être apte à suivre le climat de l’opinion publique et être sensible à l’importance sociale de certains enjeux pourrait effectivement contribuer à une négligence de l’évaluation de nos connaissances réelles et au renforcement de la conviction illusoire mais socialement acceptable de comprendre ces enjeux [5]. Par ailleurs, le biais pourrait également s’expliquer par des présuppositions concernant la façon que nous pensons comprendre ou ne pas comprendre quelque chose. Par exemple, nous pourrions juger ne pas comprendre un texte relativement aux mots non-familiers qu’il contient et inversement comprendre un texte qui ne contiendrait que des mots familiers. Dans le second cas et même si le texte affichait des lacunes logiques, l’impression d’être compris serait générée strictement par l’absence d’interruptions pour chercher des définitions ou réfléchir à certains concepts complexes [4].
Conséquences
Ce biais peut représenter un obstacle significatif au processus d’apprentissage en freinant la réflexion sur nos propres connaissances et en empêchant de distinguer ce qui est su de ce qui ne l’est pas [2]. Dans un contexte médiatique, l’illusion du savoir peut également mener à l’inertie des consommateur-trices face à certains enjeux qu’ils et elles ont l’impression de bien connaître et pour lesquels ils ou elles ne chercheront donc pas d’information supplémentaire qui autrement les motiverait à agir [5]. Par ailleurs, ce biais serait également un facteur d’influence significatif dans l’endossement de positions politiques plus extrêmes. Effectivement, l’illusion de comprendre le fonctionnement de certaines politiques poserait un obstacle à l’examen critique de celles-ci. Jumelée à d’autres biais comme l’effet Dunning-Kruger ou le biais de confirmation, l’illusion du savoir pourrait ainsi contribuer à l’extrémisme politique [3].
Pistes de réflexion pour agir à la lumière de ce biais
Réfléchir sur les causes de nos jugements : mon jugement est-il un strict endossement de l’opinion publique? Est-il informé seulement par l’habitude et la répétition du sujet en question?
Favoriser la lecture d’articles complets à celle de plusieurs titres accrocheurs.
S’exercer à former des explications causales plutôt qu’énumérer des raisons pour justifier ses positions.
Rester humble par rapport à ce que l’on pense savoir.
Comment mesure-t-on ce biais?
Une variété d’outils d’investigation est employée pour mesurer le biais cognitif de l’illusion du savoir. Généralement, ces outils impliquent une réflexion sur l’état perçu de nos connaissances avant et après une tâche mesurant l’état actuel de celles-ci [4]. En pratique, les participant.es sont donc d’abord invité-es à estimer leur niveau de connaissance concernant un sujet donné. Ensuite, la réalisation d’une tâche pratique se rapportant au sujet en question (un test de connaissance, une explication causale…etc.) permettra de mesurer la connaissance réelle des participant-es ainsi que l’écart possible de celle-ci avec le niveau préalablement estimé. L’illusion du savoir est donc calculée à partir de l’écart entre les connaissances réelles et estimées des participant-es [3, 4].
Ce biais est discuté dans la littérature scientifique :
Ce biais a des répercussions au niveau individuel ou social :
Ce biais est démontré scientifiquement :
Références
[1] Schäfer, Svenja (2020). Illusion of knowledge through Facebook news? Effects of snack news in a news feed on perceived knowledge, attitude strength, and willingness for discussions. Computers in Human Behavior, 103, 1-12.
[2] Kalamazh, Ruslana & Maria Avhustiuk (2018). Illusion of knowing in metacognitive monitoring: review of possible causes and consequences. Psychological Prospects Journal, 32, 109-122.
[3] Fernbach, Philip M., Todd Rogers, Craig R. Fox & Steven A. Sloman (2013). Political Extremism Is Supported by an Illusion of Understanding. Psychological Science, 24(6), 939-946.
[4] Glenberg, Arthur M., Alex Cherry Wilkinson & William Epstein (1982). The illusion of knowing: Failure in the self-assessment of comprehension. Memory & Cognition, 10(6), 597-602.
[5] Park, Cheong-Yi (2001). News media exposure and self-perceived knowledge: the illusion of knowing. International Journal of Public Opinion Research, 13(4), 419-425.
Tags
Niveau individuel, Heuristique de disponibilité, Besoin d'estime de soi, Besoin de fermeture cognitive
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Auteur-e
Frédérick Deschênes, étudiant à la Maîtrise en philosophie, Université du Québec à Montréal.
Comment citer cette entrée
Deschênes, F. (2020). Illusion du savoir. Dans E. Gagnon-St-Pierre, C. Gratton & E. Muszynski (Eds). Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs Vol. 2. En ligne : www.shortcogs.com
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